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50 AntönioManuel Hespanha par le biais desquels les citoyens, vivant dans la société civile, participaient ä la société politique: la vie se manifestait ainsi sur le plan de la politique; (iii) identification du Droit avec la Loi, con^ue comme expression de la volonté générale des citoyens, dont le démiurge était TÉtat; (iv) institution de la justice officielle comme seule instance de résolution des conflits. Aujourd’hui ce modéle, avec les conséquences politiques qu’il implique, suscite de moins en moins d’enthousiasme. Au contraire. On critique le gigantisme de la politique au niveau de TÉtat; on considére qu’elle rend impossible la participation des citoyens; on ne se reconnait guére dans les élus comme représentants auprés du pouvoir; on s’abstient lors du suffrage; on méconnait la loi, on s’y dérobe et on la conteste au nom d’intéréts particuliers; on soupgonne la justesse de la justice officielle et on lui substitue d’autres formes de composition. Mais alors que Timaginaire étatique du libéralisme se rétracte, on découvre que, finalement, il ne s’agissait réellement que d’un imaginaire. En effet, derriére ce monopole fantömatique du pouvoir officiel, foisonnait une multitude de mécanismes d’organisations et de disciplines sociales — Téducation des sentiments (la morale), le sens commun, les routines, 1’organisation du travail, la famille, les cercles d’amis. Par le biais de Tintimité des amours et d’amitié. des rouages visqueux de la routine, de Paction du verbe, des jeux de Pévidence et de la vérité, la société se maintient fondamentalement aussi ferme et cohérente qu’avant. Cette fermeté et cette cohérence ne doivent guére ä PÉtat et au Droit; encore qu’on n’en doive pas déduire que Pordre politique et juridique officiels ne sont que le reflet de Pordre social.'^ De merne, derriére les hauteurs inaccessibles de la Politique, des stratégies politiques, moyennes et petites, se tissent partout. Partout, les hommes et les femmes jouissent et subissent chaque jour les usages homéopatiques des menus pouvoirs du pouvoir. Finalement on fait de la politique comme on respire. Cette nouvelle découverte d’une «politique au ras du sol»^ —ou, si on préfére Lénine, d’une politique ä la portée de la femme de ménage — peut étre rapportée å une thématique théorique typiquement post-moderne: horreur au gigantisme et attraction pour la petite échelle; méfiance envers les modéles globaux, les technologies «lourdes» et les grandes organisations, mise en avant des valeurs personnelles et de la vie quotidienne; préférence d’une éthique du plaisir ä une éthique de la responsabilité. Quoi qu’il en soit, le diagnostic ou Pannonce de la fin de PÉtat modéle d’organisation politique sont devenus courants comme ■* Cf-, dans ce sens (centre ceux qui ne voient dans le droit qu’une confirmation/ratification d’une harmonie sociale pré-existante), C. Geertz, 1986, 267 ss. ^ L’expression est deJacques Revel.

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