AntönioManuei. Hespanha pouvoir et le niveau officiel (iégislatif, doctrinal) du Droit. Avant la réduction brutale de I’imaginaire politique réalisée par Tidéologie étatique du XlXe siécle, 1’Europe avait vécu dans un univers politique éclaté et, surtout, elle en était consciente. Consciente, soit de la diversité des niveaux d’organisation et de normation sociales; soit de la diversité des technologies par lesquelles les normes étaient imposées. Il était évident pour ceux qui pensaient la société et le pouvoir qu’il y avait plusieurs centres autonomes et auto-réglés de pouvoir; et que ces centres disciplinaient les comportements par le biais de différents complexes normatifs (Droits, religion, étique sociale [politica, oeconomica], éthique individuelle [nionastica], référence ä «l’ordre des choses» [natura rerum\) qui s’appuyaient et se référaient les uns les autres. La redécouverte de cet imaginaire pluraliste avait des précurseurs dans une tradition de I’historiographie juridique allemande inspirée par Otto Gierke. Mais, dans Thistoriographie juridique plus récente, sa remise ä hhonneur la plus systématique (et aussi la plus militante) se trouve dans Toeuvre de 1’historien espagnol du Droit Bartolomé Clavero (n. 1946, Séville). Depuis 1979 {Derecho comun, Séville, 1979), Clavero dé\'eloppe un modéle alternatif et non anachronique de description de Tunivers politique de I’Ancien Régime. Il en a trouvé les pieces dans la littérature (juridique, mais aussi morale et théologique) de Tépoque. Cette littérature ne parlait guére d’État ou de loi, mais plutöt de juridictions (au pluriel) et de Droits (également au pluriel). Ensuite, elle refusait toute séparation entre Droit, morale et religion, et concevait un ordre global dont la construction et le maintien étaient garantis par le complexe normatif théologico-juridique, con^u comme profondément enraciné dans la nature. Finalement, elle constituait un systéme dogmaiique serré qui fat^onnait le réel en lui imposant un recoupement et une discipline issus d’une tradition de textes d’autorité. Pour ce qui est des deux premieres propositions, il n’y a guére, aujourd’hui, de contestation.^' Sur le plan historiographique, il en découle la formulation d’un modéle intellectuel du monde politique adéquat ä 1’état des sources et aussi trés explicatif de Tunivers institutionnel de 1’époque. L’autonomie des corps (famille, communautés, église, corporations), les limitations du pouvoir de la couronne vis-ä-vis des droits particuliers établis, Tarchitecture contra- «justesse», i.e. adéquation, acceptabilité sociale, qui est eprouvée par la nature des réponses de I’environnement aux solutions produits par le systéme du discours. Leurs effets se sont révélés dramatiques pour les partisans d’une histoire politique, institutionnelle et juridique axée sur l’État et insistant sur Tidée de centralisation, comme caracteristique des monarchies européennes de 1’époque möderne. En Espagne cette image etait tributairedu centralisme politique de 1’époque de Franco {Espana, una, grande, libre). Ce qui explique le ton polémique qui enveloppe, aujourd’hui encore, I’oeuvre de B. Clavero dans son propre pays. Par contre, c’est le caractére auto-réferentiel et socialement poiétique de la tradition litteiaire qui constitue aujourd’hui 1’aspect le plus provoquant et polémique des travaux de Clavero, comme on le verra plus loin. 60
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